déc
19
2010

Les lois, au-delà des hommes

Novembre... la Bikin se fige, les lodkis commencent leur hibernation, et les moto-neige attendent leur saison...

Bien sûr, pour manger, il y a des magasins. Mais pour aller au magasin, faut des sous. Et ça, ça court pas les ruelles. Surtout à l’époque de la Baba Klava, quand beaucoup de familles vivaient sur les terrains de chasse, toute l’année, parfois à plusieurs centaines de kilomètres du village, sur les hauteurs de la rivière.  Ici, les valeurs ne sont pas encore complètement changées: si un homme veut apprécier sa table bien remplie, il se doit d’aller trouver de quoi cuisiner. Pêcher, en automne surtout. Chasser, dès la première neige.

Tout comme nos agricluteurs, les chasseurs dépendent constemment du climat. Sans la neige, comment suivre des traces dans une taïga si vaste?? Un bon chasseur, avec ou sans chien, est tout d’abord un bon lecteur de traces. Combien d’animaux, de quel âge, depuis quand, vers où vont-ils (ça dépend du temps), à quelle vitesse???

En ce début de saison, la neige est mauvaise: trop abondante, et sans vent. Les branches se plient, blanches elles aussi, réduisant la visibilité. Y marcher, parfois chargé, sur des dizaines de kilomètre, ça crève! Mais voilà: sous son manteau blanc, la taïga se laisse parcourir, toute grandiose… Et puis y pénétrer, l’oreille alerte, le pas et le souffle parfois retenu, à la recherche du moindre indice, ca nous rend encore plus petits, … et humbles, quand apparaissent les traces d’Ours ou de Tigresse.

Une Zibeline bien retournée, qui fait ses étirements! Les chasseurs de Krasnii-iar, en échange de leur licence de chasse, sont tenus de vendre (à prix dérisoire) tant de zibelines, au directeur-actionnaire-plutôt-corrompu-et-corrupteur du village.

Remarquez la hauteur de la coupe... qui révèle la hauteur de la neige! (comment auraient-ils pu sinon l'atteindre???) Mias non c'est des blagues: l'arbre est tombé, coupé, et ses racines ont pu le relever!

Et puis la Taïga, elle a ses lois… secrètes, mais qui se révèlent quand on vient se nourrir d’elle. Je ne sais pas si les chasseurs d’ici ont la même sensibilité que moi vis-à-vis du monde animal, végétal, vivant en général. Mais pour « prendre » à la forêt sa pitance, sans souffrir, à force, de mauvaise conscience, il faut se trouver de bonnes et solides raisons, « belles », ou vitales, des raisons de survie collective. Et s’arranger, en quelque sorte, avec les Esprits des Bois! Parce que mine de rien, aucune bête de la Taïga n’a vraiment envie de mourir pour nous. Faut la repérer, lui courir après, bleuffer tous ses sens, et bien finir par la tuer.

Nous dans notre voyage, TOUT nous a été DONNE. On prie intérieurement, on espère une belle choses, une rencontre, un abris, un Bania, une bouffe chaude ou un p’tit bois où s’abriter, et paf! à n’importe quel degré d’urgence ou pas, la Terre et ses bonnes Ames nous ont répondent présentes. On a tout reçu, et c’est comme ça qu’on s’est nourri, sur la route. Mais dans la Taïga, le chasseur, le mec, doit savoir « prendre » et « tuer ». Quand j’ai vu le chevreuil, rouge et chaud sur la neige blanche et froide, ce qui a jailli de moi, comme un sentiment obligatoire, c’est de la gratitude, envers cette belle pauvre bête, et envers ce type, qui ramène en tirant sur ses épaules, de quoi se régaler, de quoi faire sourire la grand-mère, et remplir l’estomac de quelques autres 4-5 personnes pour plusieurs repas.

N’empêche, l’impression de toucher aux origines de la spiritualité des peuples de la terre. Aussi, à la base de la relation vie-mort-naissance. Sans reconnaissance pour cette Forêt-Mère qui nous nourrit, on devient tous des hooligans auto-suicidaires. Des bêtes vraiment pas belles, simplement opportunistes, et très auto-centrées.

Ecrit par admin_branchest in: Krasnii-iar |

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